Dylan Charrat
Le King Gong du ring
Portrait
Dylan Charrat est allé à la poursuite de son plus grand rêve : devenir boxeur. Il y est parvenu mais à ses risques et péril. En découdre avec un inconnu ou presque en étant torse nu avec des mains gantées devant une foule réclamant du spectacle parait anormal. Il faut avoir du respect pour toute personne qui monte sur un ring. Dylan a accepté de se livrer sur sa carrière professionnelle en nous détaillant la réalité d’une vie de cogneur.
Crédit : Didier Boureau
La violence ne fait pas partie des valeurs sportives. Or, beaucoup d’entre nous se sont demandés quel effet pouvait procurer un K.O. Le boxeur a répondu à cette question mais patience, vous le saurez dans quelques instants.
Chez les professionnels du noble art, il y a douze rounds de trois minutes. Une erreur et vous finissez au tapis. Une esquive tardive et vous finissez groggy. La boxe est un sport qui laisse des traces sur le plan physique et psychologique. Les furieuses batailles traumatisent même les âmes les plus vaillantes. Il en faut de la tactique pour sonner un type en face de vous qui a travaillé pour tenir debout à tout prix. Ce sport incarne une prise de risque délibérée et j’ai voulu en savoir plus sur les motivations d’un individu à le pratiquer et connaître le mode de vie imposé pour arriver au haut niveau.
Un costume et les gants
Dylan Charrat a toujours su assez jeune qu’il deviendrait boxeur. Non pas par amour de la violence. Non plus par un bestial désir de dominer. Il aime le frisson de la peur et l’intensité de l’adrénaline quand il monte sur un ring. Sa passion pour les arts martiaux commence dès l’enfance avec le karaté. Il fait des compétitions toutes les semaines et son goût du pugilat prend un nouvel élan un soir de mars 2007 au Cannet Rocheville. Le français Brahim Asloum et le champion WBO argentin Omar Narvaez se disputent la ceinture mondiale des poids mouche. Dylan assiste au combat et annonce à son père en sortant de la salle qu’il allait se mettre à la boxe. Après un essai dans une salle de boxe associative et quelques mois d’entrainement, l’adolescent commence ses premiers combats amateurs. Il surmonte les difficultés naturelles d’un sportif qui veut se hisser au niveau professionnel, il prend des coups mais il n’abandonne jamais. Son premier combat professionnel se tiendra en février 2014 : 4 rounds de 3 minutes dans une salle de 150 personnes. Torse nu, l’âme d’un guerrier, galvanisé par des nouvelles sensations, il remporte le combat. C’est le début d’une carrière prometteuse.
Vous auriez pu le croiser à Lyon un dimanche dans le quartier de la Croix Rousse en train de faire un footing. Dylan ne prend qu’un jour de repos par semaine, le samedi. Son corps s’est progressivement habitué à encaisser deux entrainements par jour. Le premier de 9h à 11h, c’est yoga, musculation avec un travail sur l’agilité. Le programme évolue au fil de la semaine. Puis, de 17h à 19h, il travaille la technique, la stratégie, sans oublier le fameux sac de frappe. Tout dépend de la période d’exercice qui le fait osciller entre explosivité et temps de récupération. Il est évident pour tout le monde que l’entrainement prend une place primordiale dans le quotidien d’un sportif de haut niveau. Il y a un autre aspect fondamental à prendre en compte : le paramètre économique.
Pour faire simple, organiser une rencontre entre deux combattants suppose un système d’enchère. C’est un système d’offre de bourse entre deux personnes qui représentent chacune un boxeur (appelés les promoteurs). À ce moment-là, Jérome Abiteboul de Allstar Boxing était le promoteur de Dylan. Les enchères sont une confrontation entre les deux boxeurs pour savoir qui va organiser le combat, « Chacun propose une enveloppe et celui qui met le plus dans les offres de bourse remporte les enchères et il pourra organiser le combat à sa convenance avec ses télés. »
Une des difficultés de la réalité économique de ce milieu est qu’il faut arriver à concilier le business avec les espoirs d’un combattant. Les deux aspects ne font pas toujours un mariage heureux. Dylan Charrat s’exprime sur cet aspect avec un détachement lucide : « Les promoteurs doivent y trouver un intérêt et le sportif doit défendre le sien. Ce sont des organisations qui sont couteuses donc forcément il faut une rentabilité derrière. C’est frustrant mais quand tu arrives à un niveau professionnel c’est comme ça pour les sports et pour les métiers artistiques, l’économie vient changer le modèle. » L’homme ne mâche pas ses mots, sa liberté de parole inspire le respect.
Charrat contre Charal
Ce n’est un secret pour personne, pour arriver à un niveau professionnel, l’investissement personnel doit être total et sans compromis. Sur sa route, le combattant a croisé des gens qui voyaient dans sa détermination une part de sacrifice trop importante. Lui, préfère parler de choix. Il s’est construit au travers de son enfance et de son adolescence un équilibre assez solide pour lui donner le sentiment d’avoir vécu sans se priver. Nécessairement, sa manière de vivre le mettait parfois en décalage. Pendant ses études de commerce, il est parti à Dublin. Le commun des mortels en aurait profité pour s’initier à la bière locale. Pas Dylan. Il n’a jamais délaissé sa rigueur sportive pour des soirées arrosées. Il était debout à 6h du matin pour s’entrainer avant d’aller en cours. C’est naturel chez lui, la poursuite d’un objectif ambitieux rend possible son bonheur. Peu importe le prix de sa probité.
La discipline du boxeur régie chaque aspect de sa vie. Loin du cliché du combattant avide de viande pour épaissir sa musculature, Dylan Charrat tient un régime alimentaire strict. Il m’explique alors : « Dans le marketing où on se dit que pour avoir des bonnes protéines il faut bouffer de la viande. Tu peux en trouver des bonnes non assimilées par un animal directement dans des produits végétariens. Après, c’est sûr qu’il y a des apports qui sont importants dans la viande pour le sportif comme certains acides aminés donc tu dois te complémenter. »
Le cogneur a réussi à optimiser ses performances sportives en se réinterrogeant sur ses besoins. « La digestion de la viande va être couteuse en énergie et quand tu t’entraines deux fois par jour, elle ne va pas être le meilleur compromis. Dans notre génération, on prend conscience de la catastrophe écologique. Il faut essayer de s’adapter même s’il y a un monde entre les intentions et la pratique. J’essaye de faire des efforts à mon échelle. »
Nous discutons depuis près d’une heure sur son métier. Il parle avec un souffle calme, son intonation prend un nouvel élan quand vient le sujet du rapport de notre génération à l’écologie. Il conclut en disant : « Il y a un livre de Pierre Rabhi qui s’appelle Se changer, changer le monde où il explique qu’il ne faut pas prendre ces problématiques comme quelque chose d’insurmontable à l’échelle de chacun. Son approche montre que ce n’est pas un gros problème à résoudre mais c’est sept milliards de petits problèmes. Chacun doit changer des petites attitudes dans son quotidien. »
Les poings sur le « Il »
Pour être honnête, je ne m’attendais pas à parler de lecture avec un boxeur. L’athlète aux poings de fer est un fervent connaisseur de Charles Bukowski. S’il croit fermement à la puissance de la rigueur dans une passion, il aime la philosophie de vie excessive de ce poète qui se détruisait à l’alcool et au tabac. Il se retrouve en lui dans la façon dont il menait sa vie comme bon lui semblait. En l’occurrence, chez Bukowski, son quotidien consistait surtout à écrire, boire, aller aux courses hippiques, encore boire et faire l’amour. « Il a vécu selon ses envies et ses ambitions, il se foutait des normes sociétales. C’est ce détachement-là avec le monde qui nous entoure qui me plait. J’aime aussi toutes les questions qu’il amène sur notre société. Il assumait son côté marginal alcoolique qui aime la poésie et les putes et je trouve ça fou. Je l’adore même si son hygiène de vie n’a rien à voir avec la mienne. » Le point de jonction entre l’auteur américain et le jeune pugiliste est un goût inaltérable de la liberté. L’un frappe, l’autre écrit, comme une expression artistique gravée au burin.
En juillet 2019, le parcours de Dylan, rassemble une vingtaine de combats. Il est invaincu et remporte le titre de champion de l’Union européenne contre Howard Cospolite. Grâce aux deux combats de classement mondial qui ont suivi, il se classe au 9e rang mondial. Son palmarès s’est construit grâce à sa détermination infaillible, il ira jusqu’à terminer son combat contre le russe Mikhaylenko avec une fracture d’un métacarpe à la main droite.
Finalement, le coup le plus dur qu’il ait dû subir a été la pause imposée par Le Covid. Après 22 mois d’attente, Il monte sur le ring pour remettre le titre de champion d’Europe en jeu. Notre cher Cannois est déclaré perdant après un arrêt du combat au 10ème round suite à une blessure de son adversaire. La victoire de Kerman Lejarraga suscitera tout de même une controverse. L’injustice du jugement porté à la faveur de l’espagnol est officiellement reconnue par la fédération européenne (EBU) quelques mois après.
La revanche n’aura jamais lieu. Suite à un examen ophtalmologique, le couperet tombe. Dylan Charrat est contraint de renoncer à la boxe. Depuis 2016, Il souffre d’une maladie dégénérative de la cornée qui entraîne une perte de l’acuité visuelle. Sa vue est basse (3/10), elle devient une contrainte importante pour pouvoir encaisser des coups. En montant sur le ring, il pourrait y laisser un œil. L’uppercut final est un choix de raison, il est temps pour lui de dire stop. Vous commencez à saisir les contours de sa personnalité, il n’est pas du genre à rester dans le déni. S’il ne peut plus monter sur un ring, la fièvre du combat reste chevillée au corps et se destine dorénavant à d’autres activités. Il a réalisé un évènement humanitaire en Afrique avec des stages de boxe. Il souhaite poursuivre dans ce sens tout en menant son entreprise dans la gestion de portefeuille et d’analyse de marché.
Je n’ai pas oublié ma promesse sur le K.O. Le cogneur s’est confié sur ce phénomène indissociable des sports de combat. Tout d’abord, l’adrénaline permet de se transcender et de faire reculer la crainte d’un mauvais coup. Le risque reste présent, il y a des accidents tous les ans. « Si un boxeur te dit qu’il n’a pas peur, c’est un menteur » affirme-t-il. Pendant le combat, les athlètes vont puiser dans leurs ressources pour continuer quoiqu’il arrive à débiter des coups. Douze rounds, donc 36 minutes où la concentration doit se maintenir à chaque seconde. C’est à la fin de l’assaut que les choses se corsent : « le ventre est noué, tu ne peux même pas uriner. Le test urinaire après le combat peut prendre trois heures s’il a été compliqué. Si tu as pris des coups, le lendemain tu as des douleurs partout. Après un K.O, psychologiquement, tu peux mettre plusieurs jours à te remettre dans la réalité. Le calme et la sérénité prennent du temps à revenir. »
Il arrive que le sommeil soit si intense qu’il nous rend incapable de nous délivrer d’un cauchemar. Cloitré dans l’immobilisme, on ne peut redonner les coups. Être boxeur pourrait aussi consister à venger les terreurs nocturnes dont nous sommes à la fois le bourreau et la victime. Dylan Charrat, 22 combats, 20 victoires, 1 rêve. Il l’a réalisé, à nous d’accomplir le nôtre.