Nicolas Veroncastel
Le poinçonneur des Lys
Portrait
En voilà un qui ne badine pas avec l’amour de la musique. Au printemps dernier, Nicolas Veroncastel a sorti Waste, un EP marqué par des mélodies envoutantes. Entre perfectionnisme et nonchalance, le chanteur trace un parcours musical durable avec une élégance rare. Sous les effluves de quelques verres de Chardonnay, venez à la rencontre de cet artiste qui nous ouvre les portes de son jardin pas si secret.
Né en 1985, Nicolas convoque dans son enfance deux monstres sacrés de la musique. Il y eut d’abord la voix de Chet Baker qu’il crut un temps être une femme. Il fut aussi habité par l’irrévérence et la malice de Gainsbourg. Ces deux figures sont des fantômes qui ne le quitteront jamais. Il n’était qu’un môme et il se sentait attiré par les métiers qui nous placent dans la lumière. Ce n’était pas une question de jalousie, son admiration le poussait à envier le piédestal artistique ou sportif. Tennisman, acteur ou musicien, il voulait devenir quelqu’un.
Plus tard, il commence par des études de cinéma – son père travaillait dans l’audiovisuel – mais entouré d’instruments depuis toujours, il se concentre sur la musique en autodidacte.
2007 est une année particulière, sur les bancs de la fac, il monte son premier groupe sous le nom de Lys. Je vous le dis d’emblée, nous ne sommes pas dans le storytelling classique. Il faut arrêter de rêver la bande de copains qui connait un succès musical comme une chance qui se serait abattue sur ces joyeux lurons dépourvus d’ambitions. La réalité est que pour aboutir à plus 500 concerts avec des passages au-delà des frontières francophones, il y a derrière cela un homme déterminé à vivre de la scène. « J’ai eu des moments de galère et de doutes. J’avais pour objectif de vivre de ma musique. C’était parfois un projet solo. C’est connu pour être un groupe mais globalement, je gère tout. »
Le premier pied à l’étrier vers la notoriété du groupe arrive en 2008 avec le single In My Mind réalisé avec Olivier Lude (M) et Jef Dominguez (Cassius), le tout produit sous la bannière du financement participatif de Nomajormusik.
Parmi les leviers du succès musical de Nicolas, il y en a un qui devrait servir à tout le monde. Et il est évident : savoir s’entourer. Lors d’un concert à Londres, Steve Hewitt, l’emblématique batteur de Placebo tombe sous le charme du quator. Une collaboration prend forme et il accompagnera le groupe notamment sur scène à l’Olympia. Il y aura également une entente musicale avec Paul Corckett, le producteur notamment de Nick Cave et de The Cure. ces rencontre feront naître l’album Go Your Own Way en 2012.
La musique de Lys empreinte différentes touches pop anglaise avec des sonorités rock et trouve sa patte dans une composition simple appuyée par des mélodies efficaces. Le succès est immédiat. Dans son sillage pop, le groupe revient en 2015 avec un second album intitulé Redbud. Toujours aussi imparable dans sa proposition musicale, le groupe confirme son savoir-faire. Le titre Stay pétille comme un bon champagne à consommer sans modération.
Après des instants teintés de lassitude sur les changements fréquents de musiciens, une fin de tournée éreintante, il est à deux doigts de tout laisser tomber. Les déceptions humaines n’auront pas la peau de ce breton coriace. Il veut durer. « Il y a toujours ce syndrome post tournée. Je suis parti au Pays basque pour me changer les idées. » Il débarque chez un ami dans une villa à Bayonne avec son piano droit et tout le matériel pour enregistrer. En dix jours, il compose un EP. Avec un mélange d’appréhension et d’excitation, le Rennais propose pour la première fois, un projet en solo qu’il nomme Waste.
L’ensemble de ses compositions forme une sédition à l’encontre des bons sentiments. Sa sensibilité est insurrectionnelle, il exècre l’omniprésence de la bienveillance qui est faussement véhiculée aujourd’hui. Au cours de notre échange, Il m’explique que la compétition vers la réussite ou la reconnaissance est féroce entre les artistes. « C’est une compétition horrible ce métier. Je ne ferai jamais des sales coups, je suis encore reconnaissant des gens qui m’ont aidé. »
Le moins qu’on puisse dire à propos de ce garçon à l’œil acerbe sur le monde qui l’entoure est qu’il ne mâche pas ses mots. Il ne s’égare pas dans une palabre réactionnaire et pose notre discussion dans ses considérations personnelles sur notre société. « On est dans un monde dur. Les réseaux sociaux c’est un poison. J’en fais mon auto critique mais c’est une drogue. Les gens sont obsédés par ça. C’est fake, tout s’achète, tu ne sais plus ce qui est vrai ou non. Instagram c’est l’egotrip permanent. Tout est un produit. Je vais aller plus loin, il y a un abrutissement général. J’essaye de couper parfois, j’aimerais bien avoir quelqu’un qui gère ça pour moi. Les gens s’abrutissent aujourd’hui, ils ne lisent plus. Il n’y a plus de place pour la nuance. La provoque ne me dérange pas quand il y a de l’intelligence. »
Ce ne sont pas des élucubrations vaines et gratuites, cette impression s’est traduite en musique. Pour preuve, le clip du morceau Hit illustre à merveille sa vision : « On consomme les objets mais aussi les gens. Les applications sont de la consommation à outrance. On est interchangeable. » Peut-être que l’esprit de Nicolas baigne encore un peu dans les années 70/80. Il reprend d’ailleurs le morceau phare de David Bowie, Heroes avec une nouvelle dose de sensibilité rendue par un piano voix élégamment interprété. Il s’amuse à me préciser que le morceau fut enregistré d’abord avec l’idée de se marrer.
Il me rappelle l’insoumission de Gainsbourg avec son sourire en coin. Il ne joue pas un personnage, sa spontanéité déroutante nous met à l’aise mais il affirme devoir mesurer ses propos : « Est-ce qu’on peut être encore transgressif aujourd’hui ? non, j’aimerais l’être plus mais je me contrôle. L’autodérision se perd un peu. La transgression c’est compliqué aujourd’hui. Dans la vie en général, en interview, tu fais gaffe à ce que tu dis. Tu es tout de suite dans des cases.»
Si l’approche musicale de Nicolas Veroncastel séduit, il convainc par son dévouement scénique. Avec Waste, le mélomane redonne un coup d’éclat à l’image pompeuse et mielleuse de la pop actuelle. Je vous rassure, la tournée est encore en cours, il sera notamment en live à Paris le 29 novembre au Point Éphémère avec Gaspard Royant. Vivement l’album !