Tales From The Click : L’écran total

Interview

Il est connu pour son savoir gargantuesque sur le septième art et sa chaîne Tales From The Click cumule des millions de vues sur YouTube. En 2021, 100 films, 100 histoires, son livre sur les films qui ont marqué son existence a rencontré un joli succès en librairie. Si Jean Baptiste Toussaint dévoile des anecdotes truculentes sur le cinéma, il n’a pas délivré tous ses secrets. J’ai voulu en savoir plus sur ce phénomène à la curiosité tenace pour qu’il me raconte entre autre son parcours et sa manière de travailler. 

Crédit : Isariert

François Gaugry : On te connait comme Youtubeur depuis quelques années et tu as eu connu le métier de photographe avant, on prendra le temps d’en discuter. Pour commencer, comment est né le projet de ce livre ?

JB Toussaint : Michel Lafon m’a contacté il y a deux ans en me disant « est ce que ça vous intéresserait d’écrire un livre ? », moi ça m’intéressait, j’avais déjà commencé à prendre des notes à droite à gauche. Je voulais écrire un livre sur le cinéma mais l’idée était de trouver un angle qui pouvait m’intéresser et très vite je me suis rendu compte que ça pouvait être pas mal de raconter des souvenirs liés à des films, dans l’idée de montrer que le cinéma pouvait avoir un impact dans la vie de chacun. Qu’on avance comme ça dans le temps et que le cinéma arrive à côté de nous, comme un compagnon de route.

FG: Au début, comme une sorte de préambule, tu expliques une conception du cinéma que j’aime beaucoup. Selon toi, il a valeur d’éducation. Est-ce que pour toi tous les films sont une source d’apprentissage ? Est-ce que les comédies peuvent l’être aussi ?

JB Toussaint : Apprentissage je ne sais pas. À part si ça t’inspire, que tu veuilles devenir humoriste ou que tu aies vu tous les films de Steve Martin et qu’il t’ait donné envie de faire de la scène. Il y a des films qui peuvent avoir valeur d’apprentissage comme ça et puis des films plus légers qui peuvent permettre de t’aider quand tu ne vas pas bien. Comme tout le monde, quand tu es déprimé tu regardes un film, et tu sors un peu du mauvais moment. Le cinéma peut avoir valeur d’apprentissage et d’éducation mais il peut aussi aider comme je l’explique dans le livre parce que pendant 1H30 ou 2H tu es ailleurs, tu n’es plus dans tes problèmes quoi.

FG : Tu prends des notes quand tu regardes un film ?

JB Toussaint : Bien sûr, ce que je prends comme note ça va être les noms propres souvent. Pas plus tard qu’hier, je lisais une BD de Harvey Pekar et dedans il citait des noms de Jazzmen dont Bill Evans que je connaissais et d’autres. Du coup, j’ai commencé à me renseigner et aller sur Spotify pour écouter. C’est quelque chose que j’ai toujours fait, c’est pareil pour le cinéma. Récemment, je regardais une interview de Bertrand Tavernier qui citait quelques des réalisateurs de films, j’ai noté les noms pour me renseigner. Pareil, quand je regarde un film et qu’il y a des noms propres ou des choses que je ne connais pas, je prends des notes. C’est vraiment de la curiosité pure. Je l’explique aussi dans le livre, je pars du principe que si une œuvre me plaît et que le personnage de cette œuvre qui me plaît parle d’un artiste, c’est que forcément il va me plaire. C’est aussi un truc que je fais pour la musique, par exemple Mark Kozelek, quand il dit qu’il écoute tel album ou tel album, je vais l’écouter après.

FG : Je rebondis sur la musique, dans le livre, tu parles de ta rencontre avec Joseph Arthur, je ne connais pas vraiment, tu me conseillerais de commencer par quel album ?

JB Toussaint : Nuclear Daydream et notamment la chanson Electrical Storm. C’est un très bel album sorti en 2006 et sinon tu as son premier album qui a été produit par Peter Gabriel. C’est un truc que j’écoutais au collège et au lycée à fond.

FG: Merci pour la recommandation. Quand tu évoques Joseph Arthur dans le livre, c’est aussi le moment où tu racontes ta découverte sur ton dispositif photo qui a demandé un an de recherche. Est-ce que tu continues le métier de photographe ou tu restes dans cette vision de vidéaste ?

JB Toussaint : J’ai arrêté en 2014 pour faire de la vidéo ou en 2015 je ne sais plus. En tout cas, j’ai commencé en 2010 et puis la vidéo m’a pris tout mon temps alors ça a été compliqué de continuer la photo. J’ai simplement fait une parenthèse en 2018 en prenant Current Joys en photo parce que c’est un artiste que j’aime beaucoup. C’est la dernière séance que j’ai faite, ça m’a fait un peu bizarre après trois ans, il avait pris la poussière. Je n’ai plus le temps de le faire mais peut-être que je le referai plus tard. En ce moment je réfléchis à tout ça parce qu’entre 2010 et 2014, j’ai bossé avec deux cent ou trois cents groupes et avec des actrices et des acteurs aussi et j’ai toutes ces photos qui dorment dans un coin, dans un disque dur. Elles ont été simplement publiées aux États-Unis et pas en France alors je me verrai bien faire un truc avec ces photos un jour.

FG : Tu as devancé ma prochaine question, de 2011 à 2015, tu as photographié plus de trois cents groupes, quel est ton meilleur souvenir ? La vie de tournée avec les groupes doit te manquer.

JB Toussaint : Ce qui me manque c’est le côté underground et moins mainstream que maintenant. C’est-à-dire que je n’avais pas de réseaux sociaux, je faisais mes photos dans mon coin, j’en parlais pas vraiment à mes potes, je faisais vraiment ça tout seul et je voyais des groupes que j’adorais, Bon Iver, Sonic Youth, des groupes que j’écoutais à fond depuis toujours et là je me retrouvais avec eux et c’était même eux qui demandaient à bosser avec moi alors c’était incroyable. Comme souvenir, j’ai ces moments où je me retrouvais dans la loge à l’Olympia avec Bon Iver, un truc un peu extraordinaire et après je prenais le métro ligne 5 direction Bobigny Picasso pour rentrer chez ma mère. À cette époque, je revenais de Montréal, j’étais dans ma chambre d’ado avec ma mère qui criait « à table » alors que je venais de bosser avec Bon Iver. Il y avait un côté un peu bizarre où j’avais l’impression de faire quelque chose d’extraordinaire mais très vite l’ordinaire venait frapper à la porte. Ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Je gagnais très peu d’argent mais j’aimais cette vie-là. J’écrivais pour un magazine New-Yorkais, je ne fantasmais pas cette vie-là parce que je la vivais mais je ne sais pas, il y avait un côté moins mainstream que youtube où tu te retrouves à … hmm … c’est comme si j’étais tout seul dans une classe et que je me retrouvais avec pleins d’élèves.  

FG : Aujourd’hui, on te reconnait davantage dans la rue, tu montres ton visage.

JB Toussaint : Tu sais, je suis quelqu’un d’assez casanier, je sors pour une raison, parce que je dois aller là ou là. Là la chaine est suivie par plus de 500 000 personnes et je pense que je n’arrive pas encore à cogiter sur le fait que les gens me reconnaissent dans la rue. Parfois, je suis dans le métro et il y a des gens qui viennent me taper sur l’épaule mais j’ai pas le réflexe de me dire que c’est un abonné, je me dis que c’est un pote qui m’a reconnu. À chaque fois que quelqu’un me dit qu’il suit la chaine, j’ai toujours ce petit moment où je me dis « ah oui j’ai une chaine youtube » tu vois.  

FG: Dans le chapitre de la vingtaine, tu racontes qu’il y a un ami qui t’a prêté un appartement à Paris ce qui t’a permis de profiter de la vie parisienne et en même temps du cinéma. Je me demandais quelle place tu donnes à la chance dans ton parcours jusqu’à maintenant ? Malgré tout, tu as eu des moments difficiles notamment après ton début de carrière chez Dailymotion.

JB Toussaint : C’est une bonne question parce qu’on se demande toujours où est la part de chance. Je sais pas, par exemple, je vais partir à Tokyo ou à Los Angeles pour un évènement et il y a des gens forcément qui vont m’envoyer des messages en me disant « la chance » mais finalement je crois pas que ce soit de la chance parce que j’ai cravaché. Après le lycée, avec mon pote Mehdi on a essayé de faire de la scène, après je suis parti à Montréal, ensuite, j’ai fait de la photo puis de la vidéo donc en fait de 2002 jusqu’à maintenant, j’ai jamais lâché, j’ai toujours été attiré par l’artistique et j’ai toujours essayé de faire quelque chose. J’ai travaillé, j’ai rien lâché pour faire en sorte que ça fonctionne et après il y a des choses qui arrivent. Je ne sais pas où est la part de chance. La chance se provoque, c’est toujours pareil. Tu penses que la chance ça arrive ? Après il y a des petits moments, des croisements où les astres s’alignent et ça te donne une opportunité à ce moment-là. Mais si tu n’avais pas provoqué ta chance, les astres ne se seraient pas alignés. Il en faut pour réussir mais on va dire que c’est 80% de travail et 20% de chance et je ne sais pas ce que représente le talent dans tout ça. En tout cas, faut plus de travail que de chance, c’est sûr.

FG : Est-ce que tu avais gardé de l’amertume en lien à l’échec du duo avec ton meilleur ami ?

JB Toussaint : Je ne sais pas si on peut appeler ça un échec. Pour le coup on a manqué de chose à l’époque, on a commencé à tourner des sketch en 2003, il n’y avait pas encore youtube, on tournait avec des caméras à l’ancienne, on montait à l’ancienne sur cassette vidéo, c’était même pas du montage digital. Je pense que si on avait fait ça 4 ou 5 ans plus tard en mettant les sketchs sur youtube, ça aurait pu prendre ou un truc aurait pu se passer. C’est juste qu’on a abandonné avant, on a un peu lâché. C’est plus difficile de faire les choses à deux que tout seul. Il y en a un qui peut se démotiver. On était jeune, on a fait ça à la sortie du lycée, on devait avoir 19/20 ans. C’était une époque un peu différente. Si on avait pris le train de Youtube, le projet aurait certainement eu un destin différent.

FG: Pour revenir sur le chapitre à Montréal, dans la partie sur le film d’Eric Rohmer, tu parles d’un cinéma qui est hybride entre le film et le livre. Est-ce que tu peux m’en dire un peu plus sur cette notion de cinéma hybride.

JB Toussaint : C’est parce que le cinéma d’Eric Rohmer est un cinéma très écrit, à la virgule, donc ça pourrait être un livre parce que c’est formidablement écrit mais le cinéma hybride je pense que c’est le cinéma qui… pour moi il y a plusieurs étapes dans la cinéphilie et je pense que tu rentres dans une nouvelle étape quand tu te rends compte que c’est de l’art. Quand j’étais ado, je regardais Retour vers le futur, Roger Rabbit, ce genre de films qui sont des divertissements ou des blockbusters. À partir du moment où j’ai commencé à regarder des films différents, je suis entré dans une autre cinéphilie parce qu’au moment où je découvre Le salon de musique de Satyajit Ray, je me rends compte que le cinéma c’est aussi de l’art qui emmène avec lui de la mélancolie, de la beauté, de la poésie. Quand j’avais 14/15 ans je pensais que le cinéma c’était simplement du divertissement. 

FG : Tu donnes une définition magnifique à la fin de ton livre, tu dis que tu vois l’art comme un accompagnant.

JB Toussaint : Oui parce que c’est pas simplement le cinéma, c’est aussi la musique, la peinture, ces choses-là.

FG : Il y a des passages ou tu prends le temps dans ton écriture, tu donnes envie de découvrir tes articles parus dans le magazine V.

JB Toussaint : Mes photos étaient présentées dans le magazine avec une petite nouvelle qui relatait ma rencontre avec l’artiste. Elles pouvaient prendre plusieurs formes. Quand j’avais écrit sur l’artiste Kurt Vile, j’avais écrit une sorte de poème, un truc un peu à la, toute mesure gardée, Bukowski. En gros, j’avais raconté que je travaillais avec les artistes, que j’arrivais pendant le soundcheck et que les mecs étaient fatigués à cause de la route. J’essayais de décrire l’ambiance avec de la bière par terre qui colle de la veille, toutes ces choses-là. En fait, j’écrivais mes rencontres, ça me plaisait bien. J’écrivais en anglais alors ça me permettait de continuer à travailler mon anglais.

FG : Je n’ai pas bien compris les raisons pour lesquelles tu étais revenu en France, Montréal semblait t’apporter une vie de rêve.

JB Toussaint : C’est simplement une histoire de visa qui se termine et qui m’empêchait de rester là-bas. Il y a plusieurs raisons qui m’ont obligé à revenir et je n’en parle pas dans le livre. Je ne pouvais pas rester en tout cas et ça me rendait triste.

FG : L’un des plus beaux passages du livre c’est quand tu parles de dépression à ton retour en France. C’est au moment où tu parles du film « The lonesome Jim ». Qu’est-ce qu’on peut dire à quelqu’un de dépressif pour l’aider et quel film lui conseiller ?

JB Toussaint : The Lonesome Jim m’a beaucoup aidé parce qu’il y avait des similitudes avec mon état du moment et avec les conditions dans lequel se trouve le personnage. Il y avait une projection qui était assez simple à faire, ça m’a aidé. C’est difficile de répondre à cette question, chaque personne est différente, je vais te donner un titre de film qui, moi, m’aide mais qui ne va avoir aucun effet sur toi. Quand tu es en dépression, tu fais en sorte que le temps passe le plus vite possible. Moi, je regardais des films, c’était les seuls moments où je pouvais partir, être un peu ailleurs. C’est pour ça que le cinéma peut être un compagnon de route dans le sens où il t’aide à t’éduquer, à apprendre des choses, à aller mieux, il a un pouvoir extraordinaire.

FG : Tu évoques aussi ton grand-père autour d’un regret. On sent que la vieillesse prend surtout une dimension négative.

JB Toussaint : J’ai peur du temps qui passe parce qu’il y a un côté un peu inexorable qui te rapproche du néant. C’est quelque chose qui m’effraie, le temps qui passe vite. Je me souviens, un jour, je me trouvais dans ma voiture avec ma grand-mère, on avait une discussion elle et moi, et je ne sais pa,s à l’époque je devais avoir 17 ans et je la sollicitais pour avoir des souvenirs de ses vingt ans. Je me souviens lui avoir demandé si le temps passait vite. Elle m’avait répondu avec une expression en soufflant « tu n’as pas idée à quel point ça passe vite » avec un peu de tristesse. Elle a fait un claquement de doigt et elle m’a dit « ça passe comme ça ». C’est comme si pour la première fois de ma vie, je réalisais que ça nous arrivait à tous. Quand tu entres dans la trentaine, ton corps change, tu commences à avoir des pensées que tu n’avais pas quand tu avais vingt ans ou des problématiques que tu n’avais pas avant. Tu as un peu plus peur. C’est des thèmes que tu retrouves dans le cinéma de Bergman.

FG : Il te faut combien de temps de faire un épisode de « Tales from the click » ?

JB Toussaint : En général une vidéo, je commence souvent le jeudi et je la termine le mercredi. Quand je poste une vidéo à 18h, je suis encore en train de la travailler jusqu’à 15H. je suis toujours ric rac avant de poster. On va dire qu’une vidéo me prend cinq ou six jours.

FG : Tu intègres même tes recherches ?

JB Toussaint : Le jeudi, je vais faire toutes les recherches sur l’acteur ou l’actrice, je vais regarder énormément d’interviews, lire pas mal de coupures de presse, d’interview papier aussi, traîner sur des sites. Le lendemain, il faut que je trouve une forme à l’histoire, c’est-à-dire que toutes les infos que j’ai pu trouver, noter, il faut que je les regroupe, que je les découpe en chapitres avec une certaine cohérence. Je poursuis l’écriture le week-end. Le lundi, je cherche toutes les vidéos en lien avec le texte ce qui prend beaucoup de temps. Tu vas chercher une vidéo qui illustre quelque chose mais tu vas peut-être passer 40 minutes à trouver le passage alors qu’à l’écran ça va apparaître 4 secondes. Il y a les recherches de médias qui prennent toute la journée, ensuite il y a la voix off puis le montage.

FG : Tu es un exemple sur la richesse des informations, je suis étonné qu’en une seule journée tu arrives à en trouver autant.

JB Toussaint : Avant, je mettais plus de temps mais maintenant je sais où aller chercher. Je sais quel mot-clé utiliser, c’est comme une sorte de rythmique qui se met en place et tu sais où aller chercher ce qui t’intéresse. Je sais que je vais regarder les interviews de tel journaliste, je vais trouver des trucs intéressants, après je regroupe mais oui avant je prenais plus de temps.

FG : Tu décris le cinéma français comme l’un des meilleurs mondiaux. Certains amateurs vont le qualifier de lent et de larmoyant, qu’en penses-tu ?

JB Toussaint : Il y a une culture de la comédie en France. Il y en a des grandes comme La cité de la peur, Les visiteurs, Le diner de con même tous les duos Pierre Richard/ Depardieu. Il y a un peu un cliché qui traine avec les films d’auteur. Le cinéma français est assurément dans le top 5 des meilleurs cinémas mondiaux historiquement. C’est une certitude quand on voit des réalisateurs comme Eric Rohmer, Maurice Pialat, comme Renoir. C’est extraordinaire, il y a un vivier de chef d’œuvres dans le cinéma français qui est assez incroyable. C’est l’un des meilleurs cinémas avec le cinéma italien, américain et même russe.

FG : Dans ton livre, tu mentionnes Spielberg et Lucas qui expliquent dans une interview une vision un peu défaitiste du cinéma avec des places très chères par exemple. Les plateformes font du tord au cinéma ?

JB Toussaint : Je les consomme chaque jour, je ne suis pas contre parce qu’elles me permettent de voir des films et je ne serai jamais contre le fait de pouvoir voir des films. Simplement, l’idéal serait que les plateformes et les salles de cinéma cohabitent. Je ne sais pas si dans le futur elles cohabiteront. Il y a des films qui devaient sortir en salle et qui sont finalement sorti sur une plateforme, c’est lié à la crise sanitaire mais moi ma crainte est que les gens s’habituent trop à regarder des films à la maison et qu’ils n’éprouvent plus le besoin d’aller voir des films en salle. Le Covid a fait que les gens consomment le cinéma sur un canapé alors que c’est sans commune mesure avec l’expérience de voir un film en salle. Il y a une nouvelle génération qui arrive, je me sens d’une autre. Il y a tout un débat aujourd’hui sur le fait qu’il faudrait tout raccourcir. Apparemment les jeunes d’aujourd’hui trouvent que 90 min c’est trop long pour un match de foot. Qu’il faudrait raccourcir la durée pour que ce soit plus “consommable”. On retrouve ce parallèle avec le cinéma et les séries. Avant, elles n’avaient pas autant de place. Aujourd’hui la série concurrence voire dépasse le cinéma quoi. Les jeunes ont l’habitude de consommer des médias qui durent 50 minutes et quelque part ça m’inquiète aussi parce que ça veut dire qu’il faudrait raccourcir les films. C’est un peu un débat qui me déprime.

FG : C’est le symptôme d’une génération qui est de plus en plus pressée et qui n’a plus assez de temps à consacrer à un seul et même écran.

JB Toussaint : J’ai l’impression que la concentration n’est pas la même qu’avant. Il y a tellement de distraction par rapport à avant, je trouve ça un peu dommage mais bon.

FG : Tu es très à l’aise sur le côté mainstream et tu n’as pas du tout ce côté snob que peuvent avoir certains experts. Est-ce que tu as des films que tu regardes avec un peu de honte ou de plaisir coupable ?

JB Toussaint : Pas du tout. je n’ai jamais honte de regarder un film que j’aime bien. C’est un truc que je répète assez souvent, toute forme de film me plait. Je vais pouvoir regarder un film avec Steven Seagal et un film de Resnais. Je vais prendre plaisir à regarder ces deux films là dans la même journée. C’est un peu comme la musique. C’est pas comme quand tu es au collège, et que t’as peur de dire que tu aimes tel oeuvre, et qu’on te réponde : « c’est quoi ce bouffon » (rires). Quand tu es dans la trentaine, tu assumes tous tes choix.

FG : Est-ce que tu es tenté de te mettre derrière la caméra et de faire ton propre court métrage ?

JB Toussaint : Oui, bien sûr, c’est quelque chose que j’ai dans un coin de ma tête bien évidemment. J’y travaille et puis on verra. J’ai ce truc de superstition j’ai du mal à en parler. C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. C’est une des raisons pour lesquelles je me suis lancé sur youtube. Pour l’instant je raconte l’histoire des autres. Avec le livre, j’ai commencé à raconter mon histoire et maintenant j’aimerais raconter des histoires que j’invente, que je crée. C’est une suite logique. 

FG : Quand tu ne regardes pas un film, tu fais quoi de ton temps libre ?

JB Toussaint : Je travaille, je fais pratiquement que ça. Si je devais résumer une semaine type de ma vie ça va être voir des films et travailler, passer un peu de temps avec mon chat. Puis quand je peux voir des amis ou des proches je le fais mais depuis que j’ai commencé la chaine Tales from the click je fais que travailler.  

FG : Tu aimes collectionner les objets de cinéma, tu peux me donner quelques exemples ?

JB Toussaint : C’est un truc que j’ai commencé quand j’avais 20 ans. Je collectionnais des choses de mon enfance. J’ai toujours été un peu nostalgique, j’éprouve souvent de la mélancolie. J’allais acheter un truc que je n’avais pas pu avoir pendant mon enfance puis très vite je me suis retrouvé avec deux trucs, trois trucs. C’est lié au cinéma. Quand je suis parti à Montréal, j’ai commencé à faire n’importe quoi parce que ce qui m’empêchait le plus de collectionner à l’époque c’était les frais de ports. Je n’avais pas beaucoup d’argent et ils étaient plus élevés que le prix de l’objet. À Montréal, j’ai accumulé pleins de trucs, si bien que j’ai dû faire venir des malles par cargo en France, ça m’a coûté un bras. Je me suis calmé, j’ai revendu quelques objets récemment. Tu sais, une collection amène aussi son lot de déprime. Tu te dis « si je meurs, ça devient quoi ces objets ? ça va à la poubelle ? ». Il y a des envies comme ça de ne rien posséder pour pouvoir partir un jour tranquille. Tu as de l’affection pour les objets et un jour tes enfants te diront « ces quoi ces trucs de merde, on va les foutre à la benne ». J’essaye de me délester d’objets en les revendant.

FG : Ces objets sont comme un journal intime en fait.

JB Toussaint : Oui ça peut être ça ! Tu vois, j’ai un bureau où j’ai pleins de trucs. J’ai une borne d’arcade Terminator 2. J’ai un Gremlins grandeur nature. Mon bureau ressemble à ma chaine Youtube. Je me sens à l’aise à l’intérieur mais faut que je me calme là-dessus.

FG : J’ai l’impression que la mélancolie prend beaucoup de place dans ta personnalité . 

JB Toussaint : Oui hélas ! J’aimerais que ça ne prenne pas le pas. J’éprouve beaucoup d’admiration pour les gens qui n’ont pas cette mélancolie. Moi j’ai peur en permanence. J’ai peur du futur, du lendemain, de la mort, du temps qui passe. Je suis hypocondriaque, je suis constamment contrarié, j’ai pas mal de névroses. Il y a des gens qui ont l’air juste heureux et j’aimerais être comme ça. On vit sur une planète terre qui est dans un système solaire avec des galaxies, rien n’est rationnel. En fait, parfois je suis fasciné, je descends dans la rue et tout fonctionne bien. Des gens marchent, certains vont au supermarché, d’autres vont acheter des fleurs, tout semble normal. Des gens rigolent et sont contents. Mais ça devrait être en permanence comme quand tu soulèves une pierre et que toutes les fourmis sont affolées. Ça devrait être comme ça dans la rue, on ne sait même pas pourquoi on est là tu vois. On va tous mourir un jour, on est sur une planète sans savoir pourquoi, on ne sait pas ce qu’il se passe après. On devrait être tous affolés. C’est ça la folie de la vie : les gens sont contents (rires), pas plus paniqués que ça. On s’est adapté à tout ça, c’est dingue. Alors que rien n’est “normal”.




Entretien réalisé en 2021.

100 films, 100 histoires / Michel Lafon

Tales From The Click , Jean-Baptiste Toussaint

Photographie : @Isariert